La Peur
Gabriel Chevallier ! J'entends déjà les commentaires : Ah ! oui ! "Clochemerle", 1934, pimpante caleçonnade cantonale à base de cornards joviaux et de crus de pays. Succès mondial, un régal ! Certes, mon bon, mais c'est sauter une étape, moins affriolante : 1930, "la Peur". Enrôlé en 1914, revenu à l'air libre en 1919, seconde classe, Chevallier a lampé la Grande Guerre jusqu'à la dernière goutte de "vase sanglante" collée au fond du quart. Il en a tout vu, tout connu, tout subi. Au pied de la colonne "pertes", il a tiré ce trait : "La Peur" et donne sa conclusion : la peur décompose mieux que la mort. Pourrir de peur. Et pourtant, le contact des cadavres, Chevallier en a fait son quotidien : en tas, en piles, connus ou inconnus, pourris, en pièces, assis, enterrés. Mais ceux qui sont bien morts, "les épis mûrs et les blés moissonnés", vont leur destin : épaissir la glaise, gaver les vers. Ceux qui restent ont affaire à cette grande soeur étouffante : la trouille. Présente à chaque instants, durant la marche, en tranchée, en rêve, à la gamelle. La peur vous vide, vous berce à la folie. Tel le fringant médecin Charlet, siphonné par la terreur de monter au Front et qui végète dans un hôpital de l'arrière, vide - pot pour mutilés caustiques, rebaptisé "caca". Loin du feu, du sang ou de la boue, la guerre a une plus simple expression à laquelle tout se réduit : la peur. La peur, notre mère.