Le Choix de Juliette
La scène se passe à Tours. Tours, patrimoniale et calfeutrée ; Tours : La Mecque de la rente fixe et du gorgeon gouleyant. Raté, brave homme : pour Juliette Jourdan, Tours c'est "La Mecque des transsexuelles". Et puisque Balzac il y a, ce que nous offre l'auteur, dans ce roman sanguin et scintillant, c'est l'"envers de (son) histoire contemporaine" : ville nocturne, louvoyante, brutale et apeurante. "Quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre" dit - on dans Nosferatu : passé d'un sexe à l'autre, d'une rive du corps à l'autre, on voit accourir de bien terribles spectres faits de regards graveleux et de gestes furieux, de désirs coups de poing et de maquillages tremblés, d'hémorragies soudaines et d'angoisses subites. Tout à refaire chaque jour, chaque heure, avec l'aide précaire de la trousse à pilules, des corps amis, proches, soumis à la même lutte. Un petit monde offert et secret, en route vers ce paradis lointain : une journée ordinaire dans une monde banal.
Tour de chant, partouze ou colloque tribal, profession de foi ou confession en musique : rien jamais de définitif. Corps précaire dans l'"épouvantable douceur de la nuit", trompe- l'oeil et château de cartes. Le monde de la transsexualité au quotidien nous est ici livré par Juliette Jourdan dans un roman où le souci de témoigner s'épanouit dans le "mentir-vrai" du récit : "J'ai pensé : c'est donc ça ma vie ? Je ne la vis pas ; ce n'est que du temps qui passe en moi. Pourquoi ?" Dont acte.