Pèlerinages
– Quoi ? Comment ? Des pèlerinages ? Comme chez les cathos ? On croirait des convives au moment de passer à table et qui craignent d’avoir à se farcir ou de l’avarié ou, façon mauvais souvenirs, l’égal des rutabagas pendant la guerre. Du calme ! Ce sont ici des pèlerinages laïcs, fût-ce à la chapelle, de Ronchamp, où on va non parce qu’elle est chapelle mais parce qu’elle est de Le Corbusier. Relèvent de la même veine, celle des pèlerinages-hommages, les pages sur Paris et sur la tombe de Calaferte. Quant à ces pèlerinages où nous suivons les traces de nos anciens pas, un collège, une cité universitaire, une 2 CV font l’affaire ; de même qu’un village où, via le personnage d’une aubergiste et quelques plans-séquences, on voit comment la modernité toque à la porte ; autrement dit, si l’esprit Clochemerle y survit toujours, nous sommes loin de Pergaud et ses Rustiques que ces mêmes terres lui inspirèrent. André Blanchard, l’oeil ému, la narine fureteuse, mains aux poches et clope au bec, part en pèlerinage sur les lieux d’une apparition : la sienne. Datée, pérenne, indéniable. Toutes les sources auxquelles abreuver sa mémoire étant bonnes, il pousse des portes, celles délicatement grinçantes d’une église de campagne où tonnent encore les mises en garde dominicales, passe des porches, celui d’un collège religieux où un défunt « peuple noir » le scolarisa il y a belle lurette, fait des ruelles de Besançon son labyrinthe intime, très intime, revisite certaine cafétéria de campus, des vignobles ; on le voit tendre l’oreille aux dires crépitants d’une aubergiste de campagne, jeunette de quatre-vingts ans qui lui éructe clair et haut : « Moi de toute façon j’suis d’un monde fichu, qu’a pour ainsi dire disparu », collecter le grain de voix d’un bonimenteur, laisser dialoguer les souvenirs. Il monte même à Paris, ce « Reims de l’art » où sont sacrés les rois boycottés dans leur pays, revenant sur les lieux de son premier fait d’armes littéraire : Le Dilettante. Il fait le Père-Lachaise, fleurit d’un regard la tombe de Desproges, longe Notre-Dame, passe l’Odéon. L’avant-dernière station, bouleversante, se fait ailleurs, au Saint Tombeau : face à la dalle sobre de Louis Calaferte, son « sauveur » en la vie d’écriture, l’ultime à la chapelle de Ronchamp, « aérienne et écrasante ». Cette déambulation sinueuse dans les replis d’une histoire intime, hauts lieux d’une mémoire sienne se fait sans hausser la voix, sans désir de vous tirer infantilement par la manche, (ce que Bernard Frank appréciait déjà chez Blanchard), avec une intensité retenue qui donne force et élan. S’il n’y a hélas « plus de trous perdus », restent des livres comme celui-ci, pour se rameuter, soi et sa mémoire. Dont acte.