Trois mois payés
Soyons francs, à la lettre « A », comme Astruc, c’est surtout « A », comme Alexandre, né en 1923, qu’on connaît et qu’on retient, le caméra-styliste incisif, inspirateur de la Nouvelle Vague, coupable d’avoir livré Maurice Ronet aux mains de l’Inquisition (Le Puits et le Pendule, d’après Edgar Poe, 1964), glorieux d’avoir levé haut Le Rideau cramoisi de Barbey d’Aurevilly (1953) ou éclairé la figure de Sartre (1976). On connaît moins son frère Alain (1924-2001), homme de théâtre, ses soeurs Marianne et Sabine, et pas du tout le père du quatuor, Marcel (1886-1979), journaliste et romancier. D’où l’intérêt de cette réédition signée Le Dilettante. C’est Jean José Marchand qui a déniché cette perle grise titrée Trois mois payés, publiée aux éditions du Tambourin en 1930 (c’est lui aussi qui, avec Barbara Pascarel, en signe la postface). Alors que la mère de toutes les crises, celle de 29, ravage la France, Marcel Astruc y taille lentement une petite tranche dans la vie fade et fiévreuse d’un garçon de bureau mis au chômage avec trois mois de salaire en poche. Petit pactole qui leste encore une vie désormais nette d’attache. Sans être mis à la rue, notre gagne-petit y passe pourtant ses heures et ses jours. Quêtant la bonne aventure avec des minois de passage, flairant la grosse affaire avec des malins sans lendemain, s’embarquant dans des plans maritaux qui prennent l’eau en un rien, notre « homme sans qualités », bien plus qu’en quête d’un boulot, est en veine de réalité. Sentant le réel le fuir, le monde lui échapper, il se frotte aux métiers qui tachent, terrassier, plombier, s’offre aux spectacles qui cognent, accidents, ou hasard qui grise, la Bourse. En vain : il ne se sent plus guère quelqu’un dans un monde qui le tolère de plus en plus vaguement. Tel quel, le portrait sans fard et sans fond d’un abonné absent. Stylo-caméra, déjà.