Un an dans un tiroir
Entre le 19 juin 1940 et le 30 juin 1941, Pierre Bost est sous clé en Allemagne orientale, à Königsberg, dans un stalag morne et méchant. Période nue, âpre, qu’adoucit néanmoins son statut de responsable à l’ « École » du camp ; position qui lui évite les kommandos de travailleurs quasi esclaves dont les patrons de PME locales usent et abusent.
De ces douze mois, Bost nous donne une vision rêche et sèche, poncée de tout humanisme héroïque et de roublardises picaresques (plus proche du Bouquet de Calet que du Caporal épinglé de Perret) : un « sous-sol de la vie », « un vide [...] que chacun ne peut meubler qu’avec l’écho de sa propre voix ».
En un an de camp, Bost voit la mue opérer : certitudes et apparat, tout tombe en peaux mortes. On devient laid, triste, sale. Pas de leçons, ni d’arrière-monde : « Le sordide n’est que sordide. » Angle mort de la vie où rien de vrai n’accroche, où l’artifice règne à plein. Reste, dans cet état de dégradé-dégradant, à s’observer, rouages au vent : croyances, convictions, certitudes, rêves. Les cogitations d’un demi-mort : « L’univers marche, et de son bon pas, sans plus m’entraîner avec lui. Je ne fais rien, je ne sais rien, je ne suis rien. »
Une période nulle que ponctuent quelques trous : on enterre un camarade, un autre devient fou. S’en vient la quille, pour raison de santé. Le prisonnier Bost sort du tiroir et ce sera sans morale à l’histoire : « Notre expérience ne nous aura rien appris, ou pas grand’chose...le prisonnier qui a eu faim ne regardera pas d’un autre œil les soupes populaires, sinon pour se rappeler qu’il a eu faim, et se réjouir de n’avoir plus faim. » Fermez le ban.