Quartiers populaires, quartiers politiques
Ce livre tire quelques-unes des implications fondamentales de la nouvelle dynamique économique et sociale qui s'impose depuis une trentaine d'années dans une conjoncture marquée par la dégradation des conditions de travail, le développement de la précarité et de l'insécurité, la paupérisation de larges secteurs des milieux populaires. Deux caractéristiques essentielles sont ici exposées avec force : le glissement de la figure du travailleur vers celle du pauvre comme le référent principal des politiques sociales, et le recentrement sur le territoire local des conditions d'accès aux ressources de l'aide sociale. L'habitant et son quartier deviennent alors à la fois les cibles et les points d'appui privilégiés des politiques publiques des formes de l'action collective. Pour comprendre toute la portée de ces déplacements, Denis Merklen nous invite à porter un regard croisé sur les situations argentine et française. La référence à l'Argentine est ici prise en compte pour exemplifier une dynamique qui joue aussi au niveau mondial, et donc en France également. Sa spécificité est de donner à voir sous une forme épurée les traits principaux du bouleversement social produit depuis une trentaine d'années par la mise en place d'un nouveau capitalisme postindustriel. Les quartiers sont aujourd'hui structurés par l'évolution simultanée de deux processus de signe opposé : la démocratisation (qui permet l'expression des voix en provenance du monde populaire et la participation de tous aux formes du gouvernement), et la désaffiliation (qui invalide les possibilités de participation des individus dans la société). La grande majorité des démocraties est confrontée à un resurgissement de ses classes populaires, et leur avenir se trouve compromis par une crise profonde des systèmes d'intégration sociale. Au coeur de ces processus, la figure du pauvre citoyen, de celui qui est à la fois pauvre et citoyen. Au croisement de ces deux dimensions se constitue aujourd'hui l'identité de «l'habitant, historiquement neuve. Jusqu'ici on pensait que démocratie et pauvreté n'étaient pas compatibles, on disait que la présence de masses appauvries déstabilisait les systèmes politiques. Les évolutions récentes montrent que les démocraties s'accommodent plutôt bien de l'appauvrissement. Plus grave encore, il devient évident que le système démocratique est loin d'être un outil infaillible dont les classes populaires pourraient s'emparer afin de défendre leurs intérêts. Pauvreté et citoyenneté s'articulent, certes, mais leur conjugaison ne se fait pas dans l'harmonie. Les grands dangers sont à venir»