Chârulatâ
Riche brahmane, Bhupati n'a nul besoin de se mêler des affaires du monde. Il consacre pourtant sa vie au journal anglophone et progressiste qu'il a fondé. Accaparé par son travail, il délaisse sa femme, la belle et jeune Chârulatâ. Entourée de domestiques, maintenue dans la désinvolture de l'enfance, Chârulatâ s'ennuie. Son mari confie à son cousin Amal, étudiant qu'il héberge, le soin de la distraire par des cours particuliers. Traditionnellement acceptée dans la société indienne, cette intimité avec le jeune beau-frère prend peu à peu un tour passionné. Ensemble ils partagent leur envie d'écrire sans être lus. Pendant ce temps, le naïf et probe Bhupati affronte l'adversité, on le spolie, son beau-frère en tête. Il lui faut déposer le bilan. Amal part en Angleterre étudier le droit et manifestera dès lors à Chârulatâ tous les signes de la désaffection. La très exclusive Chârulatâ découvre l'ampleur de sa passion pour le jeune homme, tandis que son mari, rendu par la force des choses au gynécée, mais ignorant encore l'étendue de sa défaveur, se met pour lui plaire à lire de la littérature et à écrire. Tagore montre admirablement l'évolution des sentiments et, de facto, la transformation des rapports : de l'enjouement gracieux de Chârulatâ à la passion dévoratrice, puis au désenchantement dans son « temple de chagrin », de l'insouciance du jeune homme jusqu'à sa découverte fascinée et manoeuvrière des sentiments qu'il inspire. Chârulatâ scandalisera la bonne société bengalie à sa parution, au tout début du XXe siècle. On admire aujourd'hui, outre une lucide critique des moeurs, la très subtile tension érotique dans la peinture de personnages qui se cherchent avec autant d'innocence que de perversité, et, plus singulièrement, les rapports clandestins, rarement explorés, entre séduction et littérature.