Dans la diagonale
Dans la diagonale nous immerge dans la conscience troublée d’un trentenaire. Sa hantise ? Croiser dans la rue d’anciennes connaissances et se mettre en devoir d’échanger avec elle (ou lui) les sempiternelles "répliques de circonstance". Il passe son temps à bifurquer, s’écarter, fuir les fantômes de sa vie passée. Jusqu’au jour où, tombant sur Jacques, un ami de lycée, il se fait inviter en week-end, à la campagne.
Nulle échappatoire, cette fois. L’asocial maladif est comme pris au piège.
Après un périple à rebondissements en auto-stop, il rejoint la maison de son ex-camarade de classe et cherche ses marques en terrain inconnu. Déjà, la soirée bat son plein. Une quinzaine de convives, couples et célibataires, échangent des banalités middle-class, s’attablent et trinquent, se défient puérilement au ping-pong, commentent tautologiquement les images TV de l’armée américaine entrant dans Bagdad, se resservent à boire, commencent à se reluquer salement, à se peloter en douce, à s’éclipser dans les toilettes... Simple ersatz de débauche ? Régression pseudo-festive ? Au terme de ce coma collectif, tout dérape jusqu’au viol, consommé ou non, de la femme de Jacques, Annabelle, par le narrateur.
Bouc émissaire de cette fin de beuverie, lui n’a plus qu’à fuir en rase campagne, bientôt rejoint par un certain Joe, autre trouble-fête de la soirée. Dès lors, leur cavale endiablée va esquisser une autre aventure possible, maintenant que tous les ponts sont coupés.
Après Jouer juste, François Bégaudeau nous livre un deuxième roman d’une inquiétante étrangeté. Tout le livre est centré sur la perception d’un narrateur qui n’arrive pas à dire "je", qui n’est jamais que le témoin passif de chaque scène. D’où la sensation d’assister à un jeu de rôles social et psychologique du point de vue clinique d’une caméra de surveillance. Ne restent ainsi que des comportements et des dialogues cruellement mis à distance pour mieux révéler leur convention ou leur vacuité.
Mais cette satire glacée des us et coutumes d’une génération va connaître un brutal dérèglement qui permettra au héros, jusque-là hors-jeu (hors-je ?), de prendre enfin la tangente, de partager des sensations neuves et de retrouver l’usage d’une langue vivante. Comme si l’hyperréalisme désenchanté de cette fiction trouvait enfin son issue, son second souffle débridé dans un roman d’émancipation.