La Césure
La narratrice de ce récit vit un long fleuve tranquille, entouré d'un mari grognon qu'elle « aime bien », dit-elle, mais sans plus, d'une amie chère qui est sa confidente, et d'une vieille tante qui lui renvoie l'image d'une dégradation prochaine. Et puis c'est la coupure, le cours s'interrompt à la faveur d'une hémorragie qui expédie Alice aux urgences hospitalières, où une admirable infirmière espagnole va lui prodiguer des soins attentifs, au fil desquels toute une vie trop rangée, monotone et absurde, affleure à la conscience. Le mari en souffrira au quotidien qui le sort de sa routine de petit fonctionnaire : il devra prendre ses repas au restaurant, la barbe! La tante paradera une fois de plus dans ses falbalas mités, et l'amie l'incitera à la patience. Le sang hémorragique la renvoie aussi à la perte de sa virginité – sur un coup de tête, avec un triste inconnu, seulement pour s'affirmer dans son adolescence et se venger de sa mère.
Au terme d'un récit haletant, où rien n'est épargné des souffrances de l'âme — et du corps —, la narratrice fera le bon choix : celui de la liberté. Elle ne sortira de l'hôpital que pour se séparer de cette existence – autre césure – et entamer enfin, purgée de son vilain sang, un nouveau départ. Cette hémorragie providentielle, n'est-elle pas, finalement, une autre façon de renaître à la vie? Au terme de ce parcours, la narratrice avoue : « J'ai l'impression de ne plus rien devoir à personne, d'être toute neuve, comme si je venais de me mettre au monde avec le pouvoir de disposer de ma vie. »