Dire du mal
C'est une vague furieuse. Un emportement de mots et d'expressions, une manière de discourir, d'écrire. C'est une façon d'être, violente, vulgaire et systématique. Dire du mal de tout, de rien, des voisins comme des étrangers. Remplir à ras le bord la tuyauterie médiatique, celle des réseaux sociaux comme des télévisions privées ou publiques, des radios comme des blogs, du numérique comme du papier magazine. Depuis quelques années la France connaît, elle aussi, cette rage dans le vocabulaire, le questionnement, les annonces et les titres journalistiques. Les râleurs comme les comiques sont dépassés par cette société vouée à l'immédiat, qui dit les pires choses, se sert des épithètes les plus sommaires, produit commentaires et annonces en continu sur tout ce qui se fait, se bâtit, se décide. Le dénigrement est partout, chaque jour et chacun s'y met à sa mesure contre n'importe quoi, n'importe qui. Dire du mal est devenu normal, banal, une obligation compulsive, sinon, exister est impossible. En politique comme en littérature, dans la vie quotidienne, dans tous nos déplacements. Symptôme d'une grande peur chronique ? Course à l'audience, effet de concurrence sauvage ? Les médias s'amusent cruellement, intouchables et irresponsables. Ils donnent à longueur de jours l'exemple consternant d'une accumulation d'humeurs racoleuses où tout se vaut. Des deux côtés du miroir de la vie publique, j'ai vu se développer de façon irrésistible cette habitude de railler tout, de critiquer, de détruire. Comme si chacun d'entre nous ne se rendait plus compte qu'en disant du mal des autres on dit du mal de soi.