Première considération inactuelle
Après la Naissance de la tragédie, Nietzsche s’attaque plus explicitement à des réflexions sur des sujets d’actualité. En avril 1873, il met en chantier sa Première Considération inactuelle sur David Friedrich Strauss, qu’il achèvera le 25 juin. Le livre paraîtra le 8 août 1873.
à travers la figure emblématique de David Strauss, ce sont les philistins de la culture allemande que Nietzsche attaque vigoureusement. Pour réaliser ce projet, il distingue clairement la Kultur de l’homme instruit de la Bildung qui est le propre de l’homme cultivé. L’homme instruit, le philistin, est celui qui vit dans l’illusion de posséder un savoir, qui par essence lui échappe puisqu’il ne l’interroge pas. Or, selon Nietzsche, la culture implique l’idée de sens critique, d’autonomie du jugement, de perception du sens de ce qui existe. Elle passe par une bonne maîtrise de la langue, une connaissance des grandes œuvres de l'art et de la pensée, une ouverture à la démarche scientifique, une idée des lois et des institutions qui régissent la société dans laquelle nous vivons. La Bildung est ce qui permet à l’homme d’être un homme, d’échapper aux déterminismes biologiques et sociaux, d’accéder à la conscience, à la liberté.
C’est ainsi que Nietzsche en vient à s’ériger contre l’idée hégélienne selon laquelle il existerait un moment de l’histoire qui échapperait à l’histoire et d’où il serait possible à l’homme de porter un jugement sur la totalité de celle-ci. Pour Nietzsche, l’homme est jeté là, il n’appartient pas à une histoire, mais à une pure fatalité. C’est donc à lui, par le biais de la culture, Bildung, de s’y déterminer.
Et, malgré la densité de son propos on ne peut plus sérieux, cette considération est très loin d’exclure le rire. Jouant du double sens du terme strauss (“bouquet” ou “autruche” en allemand), Nietzsche emploie l’arme la plus forte dont il puisse faire usage, à savoir l’ironie, pour moquer la pensée de son adversaire qu’il n’hésite pas à qualifier de “pensée de l’autruche”.