Le littoral, la dernière frontière. Entretien avec Jean-Louis Violeau
nspiré par la vision des militaires, Paul Virilio constatait en 1980 que le but recherché par le pouvoir était désormais «moins l'envahissement des territoires, leur occupation, qu'une sorte de résumé du monde, obtenu par l'ubiquité, l'instantanéité de la présence militaire, un pur phénomène de vitesse ». En 2009, il prolongeait : « depuis plusieurs années, l'extérieur l'emporte partout sur l'intérieur et l'histoire géophysique se retourne tel un gant ». La situation n'offre aucune prise, la « fin de l'Histoire» masque avant tout une fin de la géographie et de son continuum. L'immédiateté exclut l'étendue. Monde fini, fin de la géographie... mais comment donc reconfigurer l'espace pour calmer les flux ? La passion contemporaine pour l'édification de murs témoigne de cette ambivalence jouant simultanément sur la fermeture et l'ouverture, entre un pouvoir de plus en plus virtuel et de grossières barrières physiques, barricades ou corridors. À l'heure du « village planétaire », pensez donc ! Mais le village n'a-t-il pas toujours été dominé par l'isolement et la surveillance ? Avec la crise de l'espace réel se profile le risque de l'enfermement des hommes sur une planète désormais réduite à rien. D'où cette irrépressible pulsion littoraliste qui caractérise notre modernité depuis plus d'un siècle et ne fait désormais que s'accentuer.