Le souci de l'art chez Emmanuel Levinas
Le centenaire Emmanuel Levinas (2006) a été l'occasion de traverser de manière quasi systématique une oeuvre devenue désormais fondamentale, tant pour l'histoire de la philosophie que pour la place névralgique quelle occupe dans les débats qui agitent aujourd'hui la communauté intellectuelle internationale.
Levinas se situe au carrefour des pensées les plus influentes de ce siècle. Il aura été le philosophe qui questionne autant la dimension d'existence que l'insistance heideggérienne sur le caractère verbal de l'être. Il aura été également le philosophe le plus critique envers la monologie de la souveraineté de la raison, à laquelle il oppose la promesse dune altérité radicale. En ce sens, il gardera toujours l'horizon herméneutique du Dasein comme moment critique sur lequel il déploie le «souci» du rapport de l'homme avec le dehors.
Cette structure du l'un pour l'autre est si puissante, si primordiale, quelle est toujours ce qui articule chez Levinas ses écrits phénoménologiques, comme ses écrits talmudiques ou encore ses écrits qui s'avancent vers la littérature pour y puiser ce qu'il appelle lui-même des expériences «pré-philosophiques».
Cependant, la question de l'art, ce que nous appelons ici le «souci de l'art» afin de tenir en éveil la critique heideggérienne, tout en montrant l'immense lecture et interprétation que Levinas en a fait na pas fait jusqu'ici l'objet d'études et de réflexions approfondies.
Ce volume collectif reprend pour la plupart les textes prononcés lors du colloque «Levinas et la question de l'art» en inscrivant la dimension esthétique dans une perspective philosophique qui permet précisément de montrer comment et pourquoi, contrairement à l'idée la plus répandue, Levinas n'est pas resté sourd à la création artistique, mais qu'il a, avec une impitoyable minutie, attiré l'attention sur le risque éthique à s'ouvrir à ce qui favorise le repli ontologique et ferme le langage par une trop grande emprise de la représentation.
Les quelques textes sur l'art que Levinas a rédigé, notamment «La réalité et son ombre», ainsi que les références poétiques, picturales et musicales dans Autrement qu'être fondent une véritable pensée de l'esthétique qu'il nous paraît nécessaire aujourd'hui de méditer, de commenter et de transmettre.