L'individu contre l'Etat
Herbert Spencer (1820-1903) fut philosophe, sociologue et économiste minarchiste anglais, extrêmement connu en son temps comme théoricien de l'évolutionnisme qu'il appliqua avant l'heure aux sociétés humaines. Il naît dans une famille de radicaux, dissidents de l'anglicanisme, et dont il hérita le refus de l'autorité sous toutes ses formes.
Très jeune, il se passionne pour les questions politiques et fait campagne contre les lois protectionnistes sur les importations de céréales. A dix-sept ans, il s'oriente vers la profession d'ingénieur des chemins de fer, qu'il exerce entre 1837 et 1841.
Il abandonne rapidement cette voie pour se tourner vers le journalisme alors qu'il a tout juste une vingtaine d'années. Collaborant à The Economist, il y rédige de nombreux articles entre 1848 et 1853 et commence à rédiger de nombreux ouvrages originaux, dont les Social Statics (1851), fortement inspirés par l'utilitarisme benthamien ou A Theory of Population (1852), où il conteste le catastrophisme de Thomas Malthus.
Il rédige en 1855 ses Principles of Psychology dans lesquels il attaque les vues de John Stuart Mill. Son grand oeuvre consistera en l'élaboration des Principles of Sociology (dont la publication s'étalera de 1876 à 1897). Toute sa vie, Spencer fut un ennemi de la guerre et de l'impérialisme, qui sont tous deux les expressions accomplies de l'étatisme. Il meurt en 1903. Son opposition au « monopole » de l'Église anglicane sur le « marché » de la religion lui vaut de ne pas être enterré dans la Cathédrale de Canterbury en raison de l'opposition de l'archevêque du lieu. Il est enterré dans le cimetière de Highgate, juste en face de la tombe de Karl Marx.
Connu comme l'un des principaux défenseurs de la théorie de l'évolution au XIXe siècle, sa réputation à l'époque rivalisait avec celle de Charles Darwin (il est l'auteur de l'expression « sélection des plus aptes »).
Il a été le premier à développer des positions évolutionnistes, dès 1850, soit une dizaine d'année avant la parution de L'Origine des espèces de Darwin. Spencer appliqua initialement ses théories évolutionnistes à des domaines comme la philosophie, la psychologie et la sociologie, dont il est reconnu comme l'un des fondateurs de la discipline. Sa théorie fut appelée postérieurement, et erronément, « darwinisme social ».
Elle a été amplement commentée à l'époque par des auteurs comme John Stuart Mill, Nietzsche, Durkheim ou Bergson. Herbert Spencer a été extrêmement populaire en son temps, aussi bien dans son pays que dans nombre d'autres pays du monde. Il conseilla l'empereur du Japon et ses livres étaient distribués dans les écoles françaises en récompense lors des cérémonies des prix. Georges Clémenceau se déplaça pour le voir en Grande Bretagne.
Aujourd'hui il est surtout connu pour ses essais politiques, ceux-ci sont notamment cités par des penseurs libéraux comme Robert Nozick. L'individu contre l'état correspond à la publication de quatre articles, publiés d'abord dans la Contemporary Review des mois d'avril, mai, juin, juillet 1884, ajouté d'un post-scriptum pour, comme le précise son auteur : « répondre à certaines critiques et pour écarter certaines objections que, l'on ne manquera pas de faire ».
Ces quatre articles ont pour titres respectifs : Le nouveau torysme, L'esclavage du futur, Les péchés des législateurs, La grande superstition politique. Spencer y développe ses théories antiétatiques. Selon lui : « l'accroissement de la liberté apparente sera suivi d'une diminution de la liberté réelle. (...). Des mesures dictatoriales, se multipliant rapidement, ont continuellement tendu à restreindre les libertés individuelles, et cela de deux manières : des réglementations ont été établies, chaque année en plus grand nombre, qui imposent une contrainte au citoyen là où ses actes étaient auparavant complètement libres, et le forcent à accomplir des actes qu'il pouvait auparavant accomplir ou ne pas accomplir, à volonté.
En même temps des charges publiques, de plus en plus lourdes, surtout locales, ont restreint davantage sa liberté en diminuant cette portion de ses profits qu'il peut dépenser à sa guise, et en augmentant la portion qui lui est enlevée pour être dépensée selon le bon plaisir des agents publics. » Spencer est donc un défenseur de l'État minimal (réduit donc strictement au maintien de la sécurité intérieure et extérieure). Comme John Locke, il défend la contractualisation des relations entre individus et État. Pour lui, le gouvernement est un simple employé que chacun est libre de révoquer, sans que cela attente aux droits d'autrui. Spencer défend par ailleurs une philosophie de l'Histoire selon laquelle les sociétés industrielles (ouvertes, dynamiques, productives, reposant sur le contrat et la liberté individuelle) supplanteront progressivement les sociétés militaires (guerrières, hiérarchiques, figées, fermées sur elles-mêmes). Au final, l'État deviendra lui-même un élément archaïque et obsolète. On peut dire que Spencer est un minarchiste convaincu de la probabilité d'un avenir anarcho-capitaliste. L'individu contre l'état a été publié en France dès 1885 chez Félix Alcan, Éditeur. Les éditions Manucius se proposent de le rééditer aujourd'hui dans le cadre du programme au concours de l'agrégation de philosophie 2008 dont le thème général est celui de l'individu.