La voix de son maître

"On ne ment pas à sa mère, c'est un péché. La petite fille raconte. Des péchés, aujourd'hui, elle en a commis deux, désobéissance et gourmandise, plus tous ceux qu'elle a sans doute oublié de noter sur sa liste. Les mains de la mère sont crispées sur les vêtements de la petite. Sa tête, soudain, s'écroule, puis, dans un mouvement tout aussi rapide, se relève, deux larmes coulent des yeux délavés sur la peau pâle, le nez se dilate, brusquement, elle attire la petite, approche ses narines de sa bouche :
- Ouvre donc, pour voir !
La petite écarte les lèvres, la mère renifle :
- Qu'est ce que tu as mis dans la bouche ?
Un jour, ils t'empoisonneront pour de bon, ils t'intoxiquent déjà avec leurs belles paroles, des communistes, je t'ai déjà dit que c'était la lie de la terre, et toi tu acceptes leurs cochonneries, Dieu te punira aussi. Elle s'effondre, se tord les mains, contemple le manteau, l'écharpe, le bonnet et les gants qui gisent sur la table."
Les années 1960, une petite ville ouvrière, un secret de famille contre lequel vient buter une fillette couvée, gavée par sa mère et obstinément silencieuse. Une écriture cinglante et touffue, capable de restituer toutes les vibrations d'un cri qui se retient.