La Vie de Mardochée de Löwenfels, écrite par lui-même
Editeur : Sabine Wespieser Editions
De Gênes où sévit la grande peste, alors que ses forces déclinent et qu'il attend l'arrivé d'un improbable bateau, Mardochée se souvient. L'évocation de son destin contrarié de fils de famille dans le Saint-Empire germanique du quatorzième siècle est tout à la fois un roman de formation, un roman philosophique et un formidable roman d'aventures. Le jeune Mardochée, héritier du nom d'un vieux talmudiste qui avait sauvé la vie d'un de ses ancêtres lors de la troisième croisade, reçoit l'éducation d'un garçon promis un temps au destin d'évêque... jusqu'à ce que son frère aîné, Rodolphe, soit porté disparu, vraisemblablement enlevé par les Tatars. Mardochée, de fait, devient l'héritier du duché familial. Mais, quelques revers du destin plus tard, il n'est plus ni l'un ni l'autre, ni évêque, ni duc. Son frère a reparu. Après un combat singulier, Mardochée part sur les grands chemins, ses illusions envolées. Il mène alors une vie de bamboche avec quelques compagnons de hasard: un moine débauché, un truand au grand coeur, une fille de menuisier aux moeurs légères... La joyeuse troupe atterrit à Nuremberg, où Mardochée gagne sa vie comme écrivain public.
C'est là que son précepteur vénéré Venetius le retrouve, soucieux de le prévenir des dangers qui le guettent: Rodolphe a envoyé des troupes à sa poursuite. Honteux de ses mauvaises fréquentations - Venetius l'a découvert en fâcheuse posture au fond d'un sombre auberge -, Mardochée repart avec son maître pour de très nouvelles aventures. C'est que ce théologien de haut vol, qui in fine se révèlera athée, l'emmène cette fois sur les routes du savoir, avec en toile de fond les controverses entre les trois religions du Livre : après avoir pendant de longs mois de pénitence recopié la Bible dans le monastère d'Ulm, Mardochée rencontre la Rabbi Meïr ben Yehuda à Spire, puis fréquente le cercle de Marsile de Padoue à Munich, où finalement il s'installe, avec Venetius toujours.
Bientôt la tutelle de son maître lui pèsera, d'autant qu'il rencontre, dans le cercle du Padouan, un bien séduisant personnage : Conradino n'est rien moins que le petit-fils de Frédéric de Hohenstaufen, décidé à reprendre le pouvoir en Sicile pour y instituer une république... Mardochée plonge dès lors dans une atmosphère de complot politique, où querelles entre guelfes et gibelins alimentent un quotidien d'invraisemblables rebondissements.
Admirablement maîtrisé, ce premier roman sous forme de faux mémoires d'un narrateur narquois et désinvolte, joue magnifiquement avec les conventions du roman historique, et pas un instant on ne lâche le fil des aventures haletantes qui s'y jouent.