Le quintet de l'Islam, Tome 1 : Un sultan à Palerme
Palerme, 1153. Les Normands gouvernent la Sicile, mais la culture et la langue arabes sont encore très présentes dans l’île et le roi Roger (1101-1154) - alias sultan Rujari -, entouré d’une cour cosmopolite, protège et écoute les intellectuels musulmans, au nombre desquels le géographe al-Idrisi (1100 – 1165).
Le roman s’ouvre sur la dernière navigation d’al-Idrisi autour de la Sicile avant l’achèvement de sa Géographie universelle, un projet de cartographie du monde connu initié des années auparavant, grâce au soutien de Rujari. La complicité des deux hommes date en effet de l’époque où, jeune érudit, al-Idrisi venait travailler dans la bibliothèque du palais. Son père, qui lui-même le tenait de son grand-père, lui avait confié qu’un des seuls exemplaires de la traduction arabe de l’Odyssée devait être caché dans un compartiment secret de la bibliothèque : le jeune homme met la main sur ce trésor et sa découverte lui vaut d’être remarqué par le sultan. Les deux hommes dès lors se retrouvent pour confronter leurs lectures, échanger leurs points de vue, et très vite Rujari décide d’aider al-Idrisi dans son entreprise. Il lui fournit un bateau, un logement près du palais, et subvient à ses besoins.
Tout au long de ces années, leurs conversations se poursuivent. Roger confie à son conseiller son mépris pour les croisades, son admiration pour la culture de son peuple – il a fait construire l’église de Céfalu sur des plans d’architectes arabes –, son dédain pour les pauvres Normands régnant sur la venteuse Angleterre… Cette confiance met pourtant al-Idrisi en porte-à-faux avec ses coreligionnaires, soucieux d’assurer la suprématie des Arabes en Sicile et bien conscients de la fragilité de leur situation, qui dépend du bon vouloir d’un souverain éclairé. Nombre d’entre eux fuient Palerme pour Bagdad ou Cordoue… mais al-Idrisi reste auprès de Rujari, même si celui-ci lui a volé son grand amour, Mayya, pour en faire sa concubine.
Mais il est vrai que le roi Roger est forcé de donner des gages aux barons et aux évêques normands, dont l’influence grandit à la cour. En cette année 1153, il est affaibli et la fin de son règne est imminente. Il accueille Idrisi, de retour à Palerme, en lui annonçant qu’il est forcé de sacrifier un de ses plus proches conseillers arabes…
Si l’extraordinaire amitié entre deux hommes de culture différente est la toile de fond de ce roman, les rebondissements y sont multiples : intrigues familiales – al-Idrisi a trois enfants, dont un fils qui a fui à Venise –, secrets d’alcôve et intrigues de harem – où le géographe se réfugie souvent, complots politiques, manipulations, aventures et voyages.
Un sultan à Palerme explore sur le mode romanesque une période charnière de l’histoire des relations entre Arabes et Chrétiens, au moment où la tolérance qui a permis le formidable rayonnement de la Sicile du XIIe siècle le cède à la violence. Et c’est bien le propos de Tariq Ali, romancier mais aussi essayiste et intellectuel engagé, que de tenter, en explorant la grande histoire, de comprendre les convulsions du monde contemporain : Un sultan à Palerme s’achève sur une réflexion d’al-Idrisi, caressant le projet de partir à Bagdag, « la ville qui ne tombera jamais »…
Ce roman, le premier dans l’ordre de la chronologie historique (mais le quatrième dans l’ordre de l’écriture), s’inscrit dans un projet plus vaste : c’est en entendant, au moment de la guerre du Golfe, un commentateur affirmer que les Musulmans n’avaient pas de culture que Tariq Ali a décidé de son Quintet de l’Islam. Les cinq romans qui le constitueront se passent chacun à un moment où éducation et culture étaient synonymes d’Islam, en parfaite coexistence avec le monde chrétien.