L'Antarctique
«Chaque fois que la femme heureuse en ménage partait, elle se demandait comment ce serait de coucher avec un autre homme.» Dès la première phrase de la nouvelle titre de son recueil, Claire Keegan ferre l’attention du lecteur. L’intrigue qu’elle met en œuvre en peu de pages ne le décevra pas. Qu’elle décrive des histoires d’amour malheureuses – dans L’Amour dans l’herbe haute, l’héroïne vient attendre, neuf ans après qu’ils se sont quittés, son amant sur la lande –, qu’elle évoque les ravages sur ses enfants de la folie d’une mère – Brûlures dit le traumatisme de toute une famille –, qu’elle parle de rivalités familiales (Les Sœurs), d’une histoire d’amour naissante entre un homme et une femme réunis par une petite annonce (Osez le grand frisson), ou de la vengeance d’une femme convaincue que son mari est responsable de la disparition de leur petite fille (La Soupe au passeport), l’auteur de ces textes montre d’entrée de jeu qu’elle est une grande nouvelliste : ses intrigues sont époustouflantes de densité dramatique, ses personnages, souvent des femmes de la classe moyenne, sont criants de vérité, son style est net et tranchant, et sa perception du monde et des rapports humains d’une absolue finesse. Le tour de force de Claire Keegan tient dans la précision de ses évocations et dans la paradoxale tranquillité avec laquelle elle évoque les situations les plus extrêmes : ses personnages peuvent se débattre dans un monde indifférent et hostile, lutter contre l’absurdité de la vie, ils garderont toujours la maîtrise de leur destin. Avec ce premier recueil, dont les nouvelles se déroulent tantôt dans l’Irlande rurale, tantôt aux Etats-Unis, Claire Keegan a été comparée aux plus grands. Nuala O’Faolain, qui l’avait encouragée dès ses débuts, ne s’y était pas trompée.