Mélancolie nord
Ce matin du 20 avril, ma situation était pour le moins inconfortable. Épuisé par une lutte de trente heures contre un terrible coup de vent venu du nord-est, j'étais attaché à mon poste, à la barre, et considérais d'un oeil mort mon cotre démâté, alourdi par l'eau de mer embarquée qui avait dangereusement rehaussé la ligne de flottaison, et dérivant quelque part dans l'Atlantique Nord, entre l'Islande et la Norvège. [...] Or il paraissait que la coque elle-même avait perdu, pour une raison quelconque, son étanchéité, et cette sournoise infiltration, si je ne parvenais pas à la juguler, me condamnait à l'évidence à une mort lente, perversité de la mer qui m'avait épargné au moment de ses plus grandes fureurs.
Avec pour seule compagnie son chat Érasme, qu'il a embarqué dans l'aventure, le narrateur, pendant les moments d'accalmie que lui laisse la tempête, se souvient de l'itinéraire qui l'a mené de son appartement parisien à cette situation périlleuse. Parce que son ami Olaf Borgström, mathématicien, musicien et historien de l'art, a été obligé de renoncer à son voyage en France, qui devait être consacré à élaborer ensemble une publication, l'homme décide de partir le rejoindre.
Il a du temps devant lui, et se lance dans la restauration acharnée d'un vieux bateau.
Réflexion sur le destin autant qu'hymne à la vie, ce premier roman de Michel Rio, paru en 1982, a imposé la musique très singulière de son écriture, oscillant entre élégance érudite et vertige métaphysique.