C'est ainsi mon amour que j'appris ma blessure ; Le Laveur de visages ; L'Actrice empruntée
Les monologues ont une longue tradition au théâtre et ils peuvent revêtir les formes les plus diverses. Certaines époques qui se souciaient peu ou différemment d'un rendu naturaliste du monde - le théâtre de Shakespeare mais aussi de Strindberg avec son théâtre intime - s'accommodaient bien du monologue. Mais là il s'agissait de tirades plus ou moins longues au sein même des pièces et non pas de pièces entières sous forme de monologues. Les trois textes que Fabrice Melquiot nous propose ici n'ont rien à voir avec les monologues classiques. On peut les appeler "pièces comme monologues" et en allant plus loin on peut y discerner une forme caractéristique de l'écriture contemporaine. L'auteur ne choisit pas cette forme pour mieux s'accommoder des contraintes propres au théâtre (notamment le manque de moyens) mais parce qu'elle correspond à un théâtre qu'on pourrait appeler celui de l'individu solitaire en quête d'un autre ; les lieux de l'action sont des endroits encore inouïs au théâtre (aéroport ou garage par exemple). Dans C'est ainsi mon amour que j'appris ma blessure, au petit matin, après une nuit bien arrosée, un homme attend dans l'aéroport de Madrid son avion. Une jeune femme est assise près de lui et l'homme nous livre, juste pendant le temps d'attente, un flux d'observations où le désir prime peut-être sur la sensation de la perte mais où le manque reste le leitmotiv. Qu'est-il devenu au juste, l'homme, à notre époque ? Samuel Simorgh, dans Le Laveur de visages, vole des voitures bien qu'il n'ait jamais cru qu'une voiture puisse tenir compagnie. Mais à présent il comprend les gens qui bichonnent leur bagnole, qui communiquent avec la tôle, il comprend les caresses de ces types, les petits halos de buée qu'ils distillent sur les merdes d'insectes pour mieux les gratter. Lui aussi cherche une femme - qui a fait sa vie avec un autre. Et dans L'Actrice empruntée, l'actrice cherche une relation impossible avec un public qui, par définition, ne peut lui répondre. A chaque fois, cette demande d'autre échoue, mais sans drame, sans pathos : chez Fabrice Melquiot, l'humour est une marque de fabrique, avec la poésie omniprésente.