Un calme feu
Nombre de raisons, dont les meilleures ne sont que trop douloureusement évidentes, m'ont fait hésiter à publier ces pages. Que la menace qui pesait déjà sur le Liban quand nous nous y sommes rendus, sous le prétexte de deux lectures de poésie, en 2004, loin de se dissiper, se soit aggravée depuis au point qu'on ne sait plus où trouver de quoi réveiller en nous ne fût-ce qu'un infime espoir, voilà ce qui nourrit plus que toute autre chose mon scrupule.
Il y a tout de même quelque chose qui m'a permis de surmonter d'aussi légitimes scrupules :
C'est que ce dont je parle maladroitement ici, fait aussi, après tout, partie de la réalité ; que toutes sortes de formes de beauté persévèrent, que l'amitié sous mille aspects demeure, et l'hospitalité, la générosité, la grâce ; comme surviennent encore des moments de profond calme, d'échanges vrais, et des éclaircies aussi indubitables que les nuages les plus noirs ou orageux ; de sorte que s'entêter à recueillir ces signes et en faire un petit livre, d'ailleurs sans prétention, ce serait moins insulter à l'épreuve de ces pays que leur rendre hommage et, en fin de compte, ne pas ajouter au désespoir vers lequel presque tout, aujourd'hui, nous entraîne.
En ces pages où il convoque à ses côtés les plus grands poètes du Proche-Orient, Philippe Jaccottet nous entraîne dans un Liban tout intérieur et une Syrie maintenant disparue.
Sa voix basse murmurante se faufile entre les apparences et ne demeure que la justesse.