La théorie des arts en Italie (1450-1600)
Le renversement artistique qui caractérise la Renaissance s'accompagne d'un renouveau radical de la littérature esthétique. Héritier des grands textes des Anciens, la Poétique d'Aristote et l'Art poétique d'Horace, l'artiste renaissant rompt progressivement avec le statut d'artisan qui était le sien et entérine dans ses écrits sa nouvelle figure d'humaniste. Ses traités affirment ainsi l'union nécessaire entre la vita activa et la vita contemplativa. Ce " nouvel âge de l'Humanité " exalte depuis le Quattrocento la figure de l'érudit et le sacralise dans l'intimité de son studiolo. A son tour, la Bottega devient aussi emblématique d'un lien majeur de l'élaboration intellectuelle pour une époque qui verra le peintre s'égaler finalement au poète. Dans ce livre, devenu un véritable classique de l'histoire de l'art, Sir Anthony Blunt retrace donc l'évolution du discours relatif aux arts dans l'Italie des XVe et XVIe siècles ; discours d'artistes, il convient encore de le souligner. Diversité semble être le maître mot de la période qu'appréhende l'historien anglais tant elle frappe par la richesse de ses constructions mentales dont Alberti offre la première manifestation globale et achevée. Des traités néo-vitruviens et méthodiques de l'humanisme florentin aux évocations plus libres du romanesque Songe de Poliphile par le Vénitien Colonna (ouvrage capital car l'un des premiers aussi abondamment illustrés), de la fascination mathématique et pythagoricienne de Fra Paccioli, en quête du nombre d'or, à la condamnation violente des arts, jugés incompatibles avec la vie chrétienne selon Savonarole, se font jour des conceptions esthétiques radicalement éloignées et pourtant presque simultanées. De Léonard, épris d'expérimentation et d'observation directe de la nature, au maniériste Lomazzo, Blunt dresse la généalogie de ce courant majeur qui donne la primauté à l'idée d'expression en peinture, conférant ainsi à ces œuvres une intensité réaliste, conséquence de la variété infinie de la nature, que Lomazzo poussera ultérieurement à l'extrême. Dans ses Vite, Vasari dépeint Michel-Ange comme l'accomplissement de la figure " divine " de l'artiste. Expression la plus parfaite du néo-platonisme, il symbolise, selon Blunt, l'émergence de la liberté esthétique ; c'est précisément contre cet idéal d'impropriété que se dresseront, peu après, les cardinaux du concile de Trente, tentant d'imposer à nouveau leur exigence de convenance. Selon le vœu de son auteur, cet ouvrage au style alerte se voulait un manuel accessible et précis. De fait, sa réédition offre au lecteur français, aujourd'hui encore, la synthèse la plus achevée sur ce vaste pan culturel et témoigne toujours de son actualité.