L'amour de la langue
Le matériel de la langue vaut au point que certains dévouent à son maniement - par art ou par science - un corps de pratiques réglées. Qui peut ignorer leur succès et qu'il les a élevés au rang d'experts ? Rien pourtant ne saurait là les soutenir, hormis une jouissance, secret bien gardé de leur qualification. Serrer celle-ci au plus près, c'est la rapporter à ce qui la structure : un certain mode de nouer le désir à la langue. Or, cela même devrait suffire à susciter un trouble : que faut-il donc que soit la langue, pour qu'un désir puisse s'y nouer ? Rien d'autre, en dernier ressort, que ce qu'atteste l'orientation analytique : la langue, concept descriptif, objectif et formel, n'est qu'une facette de cette substance impossible par quoi seulement un être peut être dit parlant, dans le mouvement même où il se révèle désirant. Cette substance, le discours analytique la nomme lalangue. C'est d'en affronter les effets de réel que grammairiens et linguistes se définissent ; c'est d'en oblitérer incessamment l'existence qu'ils se qualifient dans l'ordre des savoirs : renvoi indéfini qui structure l'instant d'une jouissance ; battement où, simultanément, l'être parlant peut se conclure expert en langue ; où, aussi bien, l'expert doit se reconnaître parlant.