Cahier d'Études Levinassiennes N15
« Il faut que le Bien soit le Bien et le Mal le Mal.
N'est-ce pas là la vraie définition de l'idéal révolutionnaire ? » E. Lévinas, Du sacré au saint.
Rupture brutale, bouleversement, la révolution vise à mettre fin à un état des choses pour en instaurer un autre, plus juste. Elle rejette le monde dans lequel les valeurs s'intriquent jusqu'à se confondre. Au coeur de l'obscurité de l'injustice érigée en norme, elle s'efforce de produire un trait de lumière. Mue par un idéal de justice, la révolution se caractérise ainsi par sa radicalité, opposée aux compromis qui toujours prolongent l'inacceptable. De celui-ci, elle propose de faire table rase, pour refaire un monde humain, pour recommencer. Métaphysique autant que politique, elle prétend détruire pour rebâtir tout depuis les fondements.
Mais toujours la révolution se heurte à la forme imparfaite qu'elle veut annihiler. Doit-elle la détruire et courir le risque de s'éloigner de l'idéal de justice qui la meut ? Peut-elle s'épargner le recours à la violence ? Par ailleurs, cher- chant à rétablir le bien et le mal comme tels, ne peut-elle céder à un certain manichéisme et à la tentation d'imposer aux hommes sa définition des valeurs qu'elle prône ? Enfin, peut-elle échapper à sa propre glaciation, selon l'expression de Saint-Just, éviter de substituer à l'ordre injuste un autre ordre figé ? Telles sont les questions que nous voudrions examiner dans ce numéro.