Le Grand Tournant
Généralement convoquées pour célébrer d'un même élan le rythme et la couleur, les courses traînent derrière elles tout un passé de roublardise, combines et argent louche. Le plus souvent au mépris du temps, qui n'existe pas sur les champs de courses. Le temps qui est leur véritable moteur... Le préfigure cette longue attente qui précède chaque épreuve, laquelle durera à peine plus de deux minutes. Autant dire un éclair. De quoi appeler, après tant d'années, la nostalgie de qui "guettait dans la dernière, à l'heure où le soleil décline rasant les lices, le retour d'un jockey fatigué sorti trop tôt du grand tournant.». «L'homme qui trouva la mort dans le tournant du bas, c'était mon père. Ou plutôt, mon père est mort à l'entraînement. Il n'y eut pas pour lui de tournant ce jour-là, ni durant les jours qui suivirent. Sinon le dernier - le grand tournant. Au château où il montait, le propriétaire décida que ce serait moi qui le remplacerais. Parmi les trois garçons - mais l'un de mes frères, trop jeune, ne comptait pas - j'avais été choisi. D'un coup, comme si je devais toujours être le plus petit parmi ceux de mon âge, je cessai de grandir. Prêt, dès l'âge de dix ans, à chausser les étriers et chevaucher les pur-sang.De lui, j'ai peu d'images. Dans la cour (tuiles vernissées des toits par-derrière) il tient un poulain à la longe, une main relevée à hauteur du visage. Je n'en finis pas de le faire mourir. Pourtant, je le jure, ce n'est arrivé qu'une fois. Une seule, la dernière . On ne meurt jamais que la dernière fois. Mais est-ce bien une photographie de mon père, de profil il nous dérobe son regard. Ou celle d'un jeune pur-sang ? Naseaux relevés, oreilles dressées, le cheval regarde vers nous...».