L'embouchure du temps
« Quelqu'un qui n'est plus moi et qui néanmoins ne peut se délester de ce moi, vit aux côtés de celui qui n'est plus lui, mais n'a ni le souvenir, ni le regret, de ce qu'il fut. Du temps où il ne s'était pas aussi éloigné de lui-même, il disait qu'il perdait ses feuilles mortes. Tandis que je garrotte continuellement la sève qui s'obstine à irriguer les miennes.
Jusques à quand ? Quand tout tangue et que s'accentue irrésistiblement le mouvement qui expulse chacun de soi. » C'est à la poursuite de l'entreprise autobiographique entamée avec ses deux précédents ouvrages que l'auteur se livre ici. La suivant, on mesure l'extraordinaire chemin parcouru pendant plus de six décennies aux côtés d'un compagnon dont l'effacement progressif, puis la mort, ouvrent sur un vertige sans fond et une solitude habitée. Le travail sur soi, le com- bat de la joie contre la « glaciation » des jours, l'immense réservoir du rêve et des souvenirs, l'inaltérable attachement à une histoire et à un modèle d'existence font de ce livre - plus encore qu'un émouvant témoignage - un manuel à méditer.