Le Gouvernement invisible : Naissance d'une démocratie sans le peuple
Dans la France d'aujourd'hui, peu à peu, le peuple perd le pouvoir. Il croit qu'il détient la souveraineté. En fait, et de plus en plus, elle s'exerce sans lui. La crise de la politique qui se développe sous nos yeux, cette coupure grandissante entre les élus et les électeurs, entre les dirigés et les dirigeants, n'a pas d'autre origine. En principe, nous vivons sous un gouvernement démocratique, c'est-à-dire sous "le gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple." En réalité, les forces impersonnelles du changement l'emportent largement sur la volonté collective. L'alliance inédite des propriétaires, des managers et des "médiateurs" a pris sur le pouvoir politique, seul issu du peuple, une prédominance éclatante et dangereuse. Le peuple élit ses dirigeants. Mais ses dirigeants ne dirigent plus grand-chose. Une âpre lutte politique se développe depuis vingt ans par les nouvelles élites pour déposséder les anciennes. Intelligence, richesse et énergie du côté des marchés, conservatisme, aveuglement et abandon du côté de l'Etat. Dynamisme du privé, immobilité du public. Une société nouvelle s'impose que personne n'a voulue. Une société, en tout cas, que le peuple n'a pas choisie, sur laquelle il ne s'est pas prononcé : une démocratie d'apparence et une oligarchie de fait. En conséquence, dans la France d'aujourd'hui, peu à peu, le pouvoir perd le peuple. Mécontent du cours des choses, l'électorat ne sait comment le modifier. Mais depuis quinze ans, l'équipe ancienne ne met pas six mois à imiter l'ancienne. Ainsi une politique de simple adaptation au capitalisme mondial, censurée régulièrement par le peuple, continue néanmoins à prévaloir, imposée par ce qu'on croit être "la nature des choses." Comment susciter le sursaut des intellectuels, des militants, des citoyens ? Comment sauver la politique ? C'est-à-dire rendre au peuple le choix de son devenir ? Non pas en "luttant contre la mondialisation", slogan sommaire et finalement creux, mais d'abord en restaurant la légitimité de la démocratie pour faire pièce à la nouvelle oligarchie, mesurer l'injustice du nouvel ordre qui tend à s'imposer pour le combattre ensuite par une stratégie cohérente. Telle est l'ambition de ce livre : chercher des ponts entre le peuple et les responsables progressistes, suggérer les voies de la réforme de la politique pour contrer l'économie, établir un lien entre l'indignation et l'action, entre la protestation et le projet. Explorer les voies d'une prise de pouvoir : celle que le peuple d'une grande démocratie doit tenter pour qu'elle redevienne démocratique.