Dans la Russie des Soviets
Voilà plusieurs années, depuis octobre 1917, qu'Albert Londres rêve d'aller enquêter sur la révolution bolchevique en Russie, révolution dans laquelle la plupart des commentateurs européens voient l'incarnation du mal. Son projet suscite le scepticisme de la plupart des rédactions, car on sait qu'en Russie les reporters étrangers n'ont pas de liberté de mouvement. De nombreux textes et témoignages ont pourtant été publiés à Paris sur la révolution, les uns favorables - comme celui du normalien catholique Pierre Pascal, ou celui de Boris Kritchevski, envoyé spécial de L'Humanité -, les autres hostiles - comme le livre du romancier Serge de Chessin (Au pays de la démence rouge), ou encore celui du journaliste Ludovic Naudeau (En prison sous la terreur rouge).
Rares sont les journalistes qui ont pu « couvrir » sérieusement l'événement. C'est au prix de mille difficultés qu'Albert Londres parviendra à « s'infiltrer » chez les Soviets. Il mettra cinquante-deux jours pour aller de Paris à Petrograd (Saint-Pétersbourg), en passant par Berlin, Reval, Copenhague, Helsingfors, etc.
Sur place, le grand reporter est effaré par ce qu'il découvre, mais surtout, il a du mal à comprendre ce que veulent réellement les communistes. La publication, à partir du 22 avril 1920, de son son reportage fera sensation à Paris. L'Excelsior, il est vrai, lui assurera une promotion exceptionnelle.
Deux ans plus tard, en 1922, Albert Londres apprendra par hasard que son voyage en Russie aurait pu se terminer fort mal. La police politique russe, en effet, la V tché K (connue en France sous le nom de Tchéka), avait mis la main sur un document compromettant pour le reporter, qui, heureusement, avait déjà quitté le territoire russe à ce moment-là.