Expérience poétique dans l'oeuvre d'Andre du Bouchet
Comment penser le poème d'André du Bouchet, sans le menacer d'effondrement et sans risquer de voir s'effondrer la pensée elle-même? Pour le lecteur désireux d'affronter la forme et le fond de cette oeuvre exigeante, le défi est de taille. Les études spécialisées font état de l'attitude désemparée de la critique, voire de "l'intime défection [du] propos critique" devant l'oeuvre. La difficulté d'approche du poème d'André du Bouchet ne tient pas seulement à la tradition dite difficile dont il fait partie et au discours critique porté en général sur la modernité poétique, "marqué par l'absence de toute certitude". Elle provient avant tout de la langue du poète et du fonctionnement du sens de celle-ci. La spécificité du texte, sensible dans une sorte de gravitation à l'intérieur des pages, dans la densité d'une langue complexe aux entrées innombrables, une langue aux carrefours thématiques et formels incessamment redéfinis, confronte le lecteur à une expérience de la limite de l'écriture, et le met en même temps à l'épreuve d'une expérience de la limite de la lecture.
Tout lecteur attentif reconnaîtra ouvertement sa crainte devant la lecture de ces textes et les angoisses que celle-ci lui a provoquées, parce qu'il traverse le vertige d'une écriture qui veut se tenir au plus près de l'expérience. La lecture des poèmes d'André du Bouchet nous réapprend à lire par heurts répétés contre la langue, par désorientations, voire par perte de toute référence, ou encore par des débuts d'accès à la langue sous forme d'une "chute lente comme dans certains rêves". Ainsi nous réapprend-elle à nous rapporter au réel. Elke de Rijcke (1965) enseigne la littérature, l'art contemporain et la philosophie esthétique à l'Ecole de Recherche graphique et à L'Ecole supérieure des arts Saint-Luc de Bruxelles.