Le nouveau recueil, N° 76 : La prose du roman
" Il est possible que la prose assume bientôt - ou même assume déjà - quelques-uns des rôles autrefois tenus par la poésie. Si donc nous osons risquer le ridicule et essayons de voir dans quelle direction nous allons, nous pouvons supposer que nous allons dans la direction de la prose et que dans dix ou quinze ans la prose sera employée à des fins pour lesquelles elle n'avait jamais été employée auparavant. Ce cannibale, le roman, qui a dévoré tant de formes d'art, en aura alors dévoré encore plus. Nous serons obligés d'inventer des noms nouveaux pour des livres qui se masquent sous ce terme unique de roman. Et il se peut que parmi les prétendus romans il y en ait un que nous ne saurons guère comment baptiser. Il sera écrit en prose, mais dans une prose qui aura beaucoup des caractéristiques de la poésie. Il aura quelque chose de l'exaltation de la poésie, mais beaucoup de la trivialité de la prose. Il sera dramatique et pourtant pas une pièce de théâtre. Il sera lu, non joué. [...] Le roman, ou les divers genres de roman qu'on écrira dans l'avenir, assumeront donc certaines des fonctions de la poésie. Ils nous donneront les rapports de l'homme avec la nature, avec la destinée, ses images, ses rêves. Mais il nous donnera aussi le ricanement, le contraste, le doute, l'intimité et la complexité de la vie. Il prendra le moule de cet étrange agglomérat de choses incompatibles - l'esprit moderne. [...] Ainsi, ce genre de roman encore sans nom sen écrit avec un certain recul devant la vie, parce que de cette manière on peut prendre une vue plus large de quelques-uns de ses traits importants ; il sera écrit en prose, parce que la prose, si vous h libérez de ce travail de bête de somme que tant de romanciers lui imposent - porter des charges de détails, des boisseaux de faits - la prose ainsi traitée se montrera capable de s'élever haut dans le ciel, non d'un seul trait, mais en volutes et en cercles. " Virginia Woolf, " Le pont étroit de l'art ", New York Herald Tribune, 14 août 1927 ; trad. française in L'Art du roman (Edit. du Seuil, 1962). Il s'agit donc de la prose du roman, qu'on la fasse ou qu'on la pense. En voici des échos.