La métamorphose : Et autres récits
En 1904, près de dix ans avant qu'à Prague, Franz Kafka rédige la Métamorphose, de l'autre côté de l'Océan, un dessinateur nommé Winsor McCay créait une bande dessinée intitulée Les Cauchemars de l'amateur de fondue au chester, publiée dans The Evening Telegram à New York. Chaque épisode tenait dans une page et présentait un personnage coincé dans un monde devenant, case après cases, toujours plus surréaliste : les jambes d'un gentleman grossissaient au point de démolir un manoir, un sac à main en crocodile se transformait en monstre qui dévorait sa propriétaire... A la fin, le personnage revenait à la réalité et se promettait de ne plus jamais manger de fondue au fromage avant de se coucher. Certes, Franz Kafka n'a jamais permis à ses personnages de regagner la réalité après leurs rêves terrifiants. Cependant, les deux artistes avaient beaucoup de choses en commun. Ils étaient pareillement doués pour décrire l'inquiétant carrefour entre le rêve et la réalité. Kafka n'a peut-être jamais été un amateur de bande dessinée, pourtant ses personnages tourmentés par l'angoisse sont parfaitement taillés pour ce médium. Cette adaptation de La Métamorphose ne pourrait exister sans la magnifique prose de Kafka, mais doit beaucoup aussi à Mc Cay et ses voyages novateurs dans l'absurde monde des rêves. J'ai trouvé auprès de ces deux pionniers une formidable inspiration pour dessiner : j'ai été fasciné par leur habileté à s'attaquer à notre condition humaine, avec des distorsions inattendues, un talent artistique incontestable et un humour pince-sans-rire. Près d'un siècle plus tard, les œuvres de Kafka et de Mc Cay semblent avoir été créées aujourd'hui pour refléter nos zeigeist habituelles. Les récits de procès cauchemardesques et de bureaucratie monolithique de Kafka n'ont rien à envier aux Unes de nos quotidiens. En souhaitant très fort qu'en cessant de manger de la fondue, on aura le remède. Peter Kuper.