Démon

Une extraordinaire traversée du XXe siècle où la fresque historique rejoint le récit intimiste Les familles perdent toujours les guerres. Pierre Rotko le sait bien, lui qui en tant que grand reporter a sillonné la corne de l'Afrique. Ce sentiment de défaite, il l'éprouve personnellement quand son père, Lev Rotko, lui confie, après des années de silence, l'histoire de sa propre famille : le destin de ses parents, Franz et Elena, des juifs russes assassinés par les nazis, son exil en 1953, et tous les malheurs communs aux êtres pris dans la tourmente de la guerre. Cette révélation marque un tournant. Pierre sait qu'une page de sa vie, la page du silence et du déni, s'est définitivement tournée. Il quitte travail et amie, entreprend des recherches, pour qu'enfin son histoire lui appartienne. C'est dans cette fièvre que son démon se manifeste. Son démon se présente à lui comme une voix qui lui parle, et cette voix c'est la voix muette de Franz et Elena. Veut-il connaître la vie avec la peur ? Avec la mort ? C'est bien ce que Pierre cherche: faire lui-même l'expérience des abandonnés de l'Histoire. Et c'est à Grozny plutôt qu'à Stavropol où ses grands-parents avaient été tués que Pierre se rend. Parce que Grozny est une ville en guerre, une ville qui, dans une Tchétchénie écrasée une fois de plus sous la botte russe, se révèle tragiquement parfaite pour faire l'expérience de la désolation. Dans ce livre au souffle épique, si rare chez les romanciers français, défilent tour à tour le massacre des Juifs d'Ukraine, la mort de Staline, l'attaque des Twin Towers et un attentat meurtrier dans un théâtre de Moscou, comme autant de scènes arrachées à un Vie et Destin (Vassili Grossman) contemporain. Thierry Hesse a su s'emparer de notre actualité, et la traduire, grâce à la puissance de sa vision, en Histoire. En mettant en scène des dizaines de personnages, de lieux, d'époques, en mêlant le romanesque à la réflexion historique, il réussit un véritable tour de force littéraire et signe là un roman résolument engagé.