La Griffe intérieure
" Elle est coupable, elle le sait, l'a toujours su. " Elle, c'est Apolline qui, enfant, pendant la guerre, a dénoncé ses parents résistants, sa mère surtout. Et l'histoire a suivi son cours : la grande Histoire, avec les déportations en Allemagne et les camps de la mort, puis la fuite vers le " paradis sur terre ", l'Union soviétique ; la petite histoire, individuelle, celle d'Apolline, entre autres. Apolline a grandi. Jamais elle n'a rien dit de sa faute. Ses parents ? Elle a toujours été certaine qu'ils étaient morts. La preuve, ils ne sont pas revenus. Or voici qu'au début du roman, surgit de nulle part une vieille femme dans laquelle Apolline reconnaît aussitôt sa mère. Il n'y aura entre elles aucun échange : Adélaide ne se montre que pour mourir devant sa fille. En laissant un cahier. A elles deux, les héroïnes de Christine Deroin reconstituent presque tout le vingtième siècle, avec ses crimes, ses utopies, ses millions de destins individuels broyés par ce qu'Alexandre Soljénitsyne appelle " la Roue rouge " de l'histoire. Il y a aussi dans ce roman, et peut-être surtout, la " griffe intérieure ", lancinante, de la culpabilité. Mais, semble interroger l'auteur, n'est-ce pas elle, cette " griffe ", qui permet à la personne d'exister face à l'Histoire. Anne Coldefy-Faucard.