Le Lièvre
Je dormais mal. Je balayais mal. Je digérais mal. Je ne trouvais rien. Des jours et des jours s’étaient écoulés depuis le meurtre. Des semaines. J’avais vu tous les lièvres de la ville, morts ou promis à la mort. Je ne trouvais pas mon lièvre. Jour après jour j’étais dans la rue et balayais mal. Quand passais un corbillard, j’arrêtais de balayer et me mettais au garde-à-vous comme un soldat. »
L’auteur de ce « rapport » fut jadis un homme riche qui s’est vu regardé un jour sans savoir pourquoi ni par qui. Parti à la recherche de cet « homme des foules dans la foule », obsédé par le regard « de verre » de ce quidam, il parcourt les continents et les océans, dilapide sa fortune, est laissé pour mort sur un champ de bataille de la grande guerre. On verra que son erreur fut de ne courir qu’un lièvre à la fois, alors qu’ils s’agissait de découvrir... où gît le lièvre.
Paru en 1922, ce récit de Melchior Vischer (1895-1975), l’auteur de Transcerveau express, a impressionné aussi bien Franz Kafka que Hans Blumenberg qui y voyait l’ultime expression du roman philosophique.