Correspondance 1912-1924: le bénédictin et l'homme de barre
Lorsque Valery Larbaud (1881-1957) s'associe à l'hommage que La Nouvelle Revue française rend à son directeur, Jacques Rivière (1886-1925) qui vient de mourir prématurément, il écrit, pesant chaque mot : «Nous lui devons tous beaucoup : nous surtout, les premiers collaborateurs de cette publication, nous qui en avons vu les débuts héroïques et modestes. II nous a donné ses conseils, ses encouragements, son exemple et, pensée amère aujourd'hui : son temps.» C'est cette relation entre éditeur et écrivain, empreinte d'attentions et de diplomatie, que montrent les 149 lettres échangées de 1912 à 1924 entre Jacques Rivière et Valery Larbaud. Celui-ci est alors l'un des principaux auteurs des éditions de La NRF, mais aussi l'un des plus sûrs conseillers en littérature étrangère de la revue. Attentif, mais voué à une existence préservée de «bénédictin», Larbaud, toujours en voyage, toujours souffrant, sort parfois de sa réserve pour défendre ardemment les écrivains qu'il admire, comme James Joyce - que Jacques Rivière, lui, n'apprécie guère - ou Saint-John Perse. Il reste cependant très à l'écart du groupe de La Nouvelle Revue française, emmené par André Gide et «l'homme de barre» (Jacques Rivière) qui s'emploient à fonder, non sans tensions, une nouvelle morale intellectuelle. Cette correspondance croisée montre, au-delà de la «grande et fidèle amitié» que Larbaud et Rivière cultivèrent avec soin, les rouages de la fabrication, mois après mois, de la jeune NRF : l'incessant travail de lire les manuscrits, de relire les épreuves, de traquer les coquilles, de compenser les retards, de rattraper les occasions perdues, de s'attacher quelques justes réussites, le dispute, pour l'un comme pour l'autre, à l'essentiel qui est de composer, malgré l'inquiétude et la fébrilité, son oeuvre propre...