Mes Scandales
Gabriel Astruc (1864-1938) fut journaliste, éditeur et impresario. En 1902, il fonda la revue Musica et en 1904 la "Société musicale Gabriel Astruc", vouée à l'organisation de concerts. Avec l'appui du comte Isaac de Camondo et de la comtesse Greffulhe, il organisa la Saison italienne en 1905 et les Saisons des Ballets Russes de Serge de Diaghilev dès 1907. En mars 1913, après avoir conçu et édifié le Théâtre des Champs-Elysées, il l'inaugura fastueusement par toute une série de concerts mémorables, puis dut s'en retirer en novembre de la même année, totalement ruiné. Selon Marcel Proust, son ami "suppléa aux défaillances de l'Opéra Comique et de l'Opéra, en créant un théâtre unique, vrai Temple de la Musique, de l'Architecture et de la Peinture". Outre ses Mémoires, Le Pavillon des fantômes (Grasset, 1929 ; Mémoire du Livre, 2003), Gabriel Astruc a rédigé en 1936 pour la radio, puis réuni en un volume resté inédit jusqu'à ce jour, quelques souvenirs complémentaires : centrés sur quatre moments de bruit et de fureur, ces quatre "scandales" évoquent successivement Salomé de Richard Strauss et ses deux interprètes irréconciliables (Théâtre du Chatelet, mai 1907) ; Le Martyre de Saint-Sébastien de Claude Debussy, qui vit s'allier deux personnalités hors du commun, Gabriele D'Annunzio et Ida Rubinstein (Théâtre du Chatelet, juin 1910) ; Le Prélude à l'après-midi d'un faune, de Mallarmé et Debussy, "mis à la scène" par un Nijinsky qui choqua la moralité publique (Théâtre du Chatelet, mai 1912) ; Le Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky, dont la "cacophonie" instrumentale, également chorégraphiée par Nijinsky, mit sens dessus dessous "tous les clans des superdebussystes, des hyperravelliens et des stravinskistes-extrémistes armés jusqu'aux dents" (Théâtre des Champs-Élysées, mai 1913). La chance de tous ces artistes est d'avoir rencontré Gabriel Astruc qui, plus que tout autre, a permis de transfigurer leurs oeuvres, qui faisaient scandale il y a un siècle, en événements décisifs de l'esthétique moderne.