Quelques ombres portées
Tout lecteur l'est d'abord de lui-même, c'est du moins ce que Marcel Proust expose longuement dans Le temps retrouvé. Ce qu'il cherche ainsi dans les livres, qui l'émeut, l'intrigue ou se cabre, sans doute est-ce cette part de soi chez d'autres plus familière, qu'ils récusent parfois, l'enchantement comme la protestation n'y peuvent rien, de sorte que tout livre écrit avec honnêteté (...) ne s'adresse à personne, ne vise ni, l'expression militaire parle crûment, ne cible aucun public en particulier, l'écrivain ne se penchant sur ses feuillets que pour sa seule gouverne (...). L'écriture, sous peine de se restreindre à d'habiles ou maladroits exercices qui s'efforceront d'apparaître convaincants, agréables, beaux même, frappés de cette beauté admise en tout cas, dont les canons s'adaptent aux goûts comme aux normes d'une époque - un soupçon d'originalité, une dose de scandale n'en sont accueillis qu'avec plus de zèle - ne peut être qu'expérience singulière, la tâche du lecteur, Jean-Christophe Bailly l'analyse fort bien, consistant à aller au devant d'une singularité devenue contagieuse. (...). Ce que j'avais en tête (...) c'était d'indiquer, de mieux cerner peut-être, dans l'espace parfois marginal de mes lectures, le rapport que j'entretiens avec l'acte d'écrire et de montrer combien toute approche importante, décisive quelquefois, d'un livre, d'un auteur, implique une réflexion pour moi mal séparable de l'autobiographie, (...). M'arrêtant à tel ouvrage, confrontant mes jours à ceux que certains livres traduisent, en étroite sympathie avec eux ou, au verso d'une page, notant ce qui m'en éloigne, je n'ai souhaité que cette intimité, cet échange qui me fondent. Le reste est vanité. Je lis et n'écris qu'afin d'éclaircir un peu mon obscure existence.