Visage de l'absent
Vivant dans le nord de la Syrie, où je me suis volontairement exilé durant deux années, je possédais une grande partie de mes jours et, afin de ne pas m'effacer dans un désœuvrement complet qui ne laisserait derrière lui aucune trace, j'optai, pour la première fois de ma vie, pour une forme de discipline qui fut ma façon de ne pas sombrer dans l'absolue perte de langage ou une sorte de déraison dont on ne revient pas. Il m'eut été facile de rédiger un journal de route, des carnets de voyage, de raconter en somme mon séjour. Tout au contraire, j'empruntai une autre direction, celle que suscitaient quelques images fortes que m'avait délivré l'existence car ne cessaient de surgir les évidentes absences qui m'avaient frappées et qui, un jour ou l'autre, nous frappent tous. Ma mémoire tourbillonnait autour de cet abîme que provoque toujours l'absence irréversible. Je m'en tins donc à déployer ces fragments qui ne ressemblent à rien. Ni à un journal, ni à un récit. Mais qui poursuivent l'aventure entamée depuis bientôt trente ans. J'écrivais en regardant tomber la neige sur ce pays que j'aimais chaque jour davantage, en éprouvant aussi ses chaleurs torrides. Puis un jour, je décidai de rentrer par la route, très lentement. Ce livre raconte un peu ce lent détour, une manière serrée d'avoir tenté de saisir l'essentiel, la vie nue, les visages de l'absence qui ne cessent de nous hanter.