Vers le Nord
Quand on écrit comme vous le faites, il est toujours temps de regarder les jeunes filles passer, et de s'interroger inlassablement sur leur évanescente réalité. Qu'est-ce qu'une jeune fille ? C'est ce que vous vous demandez en tremblant, et votre main demeure suspendue au-dessus de votre manuscrit. C'est encore ma propre main que je vois et c'est mon propre cœur affolé d'adolescence qui se remet à battre la campagne de ses premiers émois. Voilà où je suis resté depuis lors, dans la fête de ces délicieux élans retenus ; je parle de fête, mais je me souviens que je n'en menais vraiment pas large. Car il faut de longs mois, d'avrils gais en de ténébreux novembres, pour s'approcher d'une ravissante demoiselle à la taille si joliment tournée, et tout autant de mois, de clairs janviers en de juillets tout palpitants, pour comprendre que c'est à vous, par exemple, qu'elle a donné une mèche de ses cheveux avant de s'enfuir dans la plus belle nuit de votre jeune vie. Est-ce toujours de cette façon que les choses se passent aujourd'hui ? Le savez-vous ? Comment vous y prenez-vous, vous, avec toutes ces étonnantes jeunes filles ? N'ont-elles pas fini par vous tourner la tête ? Il me semble que vous n'écrivez rien de bon si vous passez tout votre temps à rêver que vous puissiez les désirer sans souffrir ; songez-y, cela ne fera guère qu'un compte équitable entre elles et vous, et vous souffririez de toutes les façons si vous cessiez de les désirer, n'est-ce pas ? Peut-être vaudrait-il mieux n'avoir plus de cœur, ni d'yeux, et n'aimer en quelque sorte que la pure promesse de l'amour. Moi qui vous dis tout cela, je n'ai pas trouvé que la littérature puisse nous dispenser avantageusement d'aimer toutes ces vives et charmantes demoiselles. "