Amparo
Ce n'est pas que sa vie à elle était mauvaise, non, se disait-elle sur le trajet qui lui restait à faire jusqu'à son poste matinal. Et elle pouvait aisément alors comparer la vie qu'elle avait menée depuis douze ans à celle de ses seize premières années, car, lorsqu'elle marchait, c'était comme si un pied était à Mexico, l'autre dans le Chiapas. Il lui semblait aussi respirer d'une narine la suffocante atmosphère de la ville, de l'autre celle de la forêt, entendre d'une oreille le tapage de la rue mexicaine, de l'autre la musique qui sortait des haut-parleurs de la Plaza principal de San Cristobal de las Casas, qui avait tout autant que le non-retour de l'oncle Pedro alimenté ses rêves, une musique inouïe dont elle savait maintenant qu'elle était jouée par des instruments appelés piano, violon, violoncelle, alto, flûte, etc., mais qui lui avait semblé être une émanation des arbres de la place, comme les fumées qui filtraient par les interstices des tuiles de certaines maisons sans cheminée de San Cristobal semblaient être les pensées et les rêves mêmes des habitants.