L'étrange destin de George Général JR. dit Gigi Gryce
Dans la grande aventure du jazz après 1940 et la somme de ses bouleversements,Gigi Gryce (1927-1983) n'est pas à proprement parler un oublié. Pas de l'amateur conséquent, en tout cas : celui-ci sachant l'importance et l'originalité du compositeur de Minority et Nica's Tempo comme l'élégance de l'arrangeur. Pas, a fortiori, des musiciens... De Max Roach à Monk ou Art Farmer en passant par Oscar Pettiford et Gillespie, ses contemporains auront, en effet, tôt repéré les qualités d'écriture et la singularité d'instrumentiste d'un saxophoniste alto et homme de partitions qui à vingt-cinq ans éprouva, comme quelques autres jazzmen (Donald Byrd, Quincy Jones...), le besoin de parfaire ses connaissances musicales auprès de Nadia Boulanger (mais aussi, pour ce qui le concerne, d'Arthur Honegger). Quant à ceux des générations qui lui ont succédé, ils ont continué et continuent de jouer ses compositions. On ne dira pas plus de Gryce qu'il est musicien du second rayon : ce serait insultant pour lui comme pour ceux qui ont porté haut son écriture - un Getz, un Mal Waldron, le Monk de Monk's Music. Mais il fait partie de ces musiciens de la pénombre qui sont bien plus que des petits maîtres et auxquels Alain Gerber sait si bien, dans les plis de son attention aux figures " monumentales " de la première des beat musics (Charlie Parker, Billie Holiday, Lester Young, Miles Davis...), redonner le visage de l'unique. Musicien ombré par son exigence même, son rapport difficile à la vie telle qu'elle est, Gigi Gryce, s'il n'est pas un inventeur premier, n'en reste pas moins un jazzman essentiel - littéralement. C'est à dire cette qualité et cette source que s'attache, avec une attention et des bonheurs d'écriture et d'analyse constants, le livre qu'Alain Gerber lui a consacré.