Le Dégénéré
Un homme raconte sa trajectoire dans la ville qui l’a vu naître et le détruit au fur et à mesure qu’il prend conscience de l’abjection qu’engendre à ses yeux le seul fait d’y vivre. Déjà, à l’école primaire, ses camarades le surnommaient Le Dégénéré.
Quel est le rapport entre la mort d’une jeune pianiste dans les environs de la Villa Paradiso et les réticences des employés de la mairie annexe à vous délivrer un passeport en règle, tandis que vous cherchez seulement à quitter la ville ? Quelle est cette ville que vous cherchez à fuir malgré son soleil presque aveuglant ? D’où vient que depuis des années vous mettez régulièrement à la disposition de Victor des gaufrettes qu’il avale en quantités astronomiques en vous tenant le discours le plus intolérable ? Et d’où vient que Victor s’en sortira toujours, tandis que vous, imperceptiblement, ne cessez de dégénérer ? Qu’est-ce qui pousse les hommes à haïr leur prochain ? Comment en êtes-vous arrivé là ? Et d’ailleurs, qui êtes-vous ? Est-ce vous qui dégénérez ? Ou bien est-ce le monde autour de vous qui se dérobe ?
Le dégénéré est peut-être celui qui, perdu dans un no man’s land dépourvu d’idéal, ne cesse de tourner sur lui-même en un tourbillon cruel, à l’image de cette langue, viscérale et pointilliste, qui tournoie dans notre tête jusqu’à y creuser, lentement, un trou qui est aussi une porte, une fenêtre, une issue.