COLUCHE, C'EST HISTOIRE D'UN
La vie de Michel Colucci, d'autres la racontent mieux que nous. C'est d'ailleurs la raison d'être de ce bouquin : faire parler celles et ceux qui ont gravité autour du clown de Montrouge. Une traversée de l'intime - des intimes - du mec le plus drôle de ce pays. Quelques interrogatoires en douceur des témoins d'une époque, des complices. Pas des bavards pour la plupart. Mais dès qu'il s'est agi de « leur Coluche », les langues se sont déliées, les sourires ont tranché les visages et les larmes ont parfois même arrosé les dépositions !
La première et la dernière impression de ses rencontres est que Coluche n'est pas parti, il s'est absenté. Auprès de tous, on a cru déceler une volonté féroce de ne pas oublier, d'entretenir ce que leur pote leur a laissé, conscients visiblement qu'après lui « le couvercle a été remis »... dixit Antoine de Caunes.
C'est donc bien l'histoire d'un manque que ses tranches de vie, mises les unes contre les autres pour raconter « l'aristocrade » sans succession. Chacun d'eux a gardé quelque chose de ce temps commun, de l'arrogance, de l'insouciance, de l'énergie, des souvenirs vivaces et surtout des choses que certains silences prolongés, certains regards pétillants et lointains ont préféré taire ! On se gardera bien d'interpréter !
Le « comique » fait paraît-il office de miroir de la société. Celle-ci aime se regarder à travers le prisme de l'absurde, de la dérision et de la caricature. Elle aime se gratter les plaies et exprime sa douleur en riant. Tant qu'on peut en rire c'est qu'il reste de l'espoir ! Aujourd'hui la « profession » a le vent en poupe d'après ses professionnels, mais les chirurgiens du rire ont rangé le vitriol et sortie la morphine.
L'amuseur, aujourd'hui, préfère éviter les eaux boueuses et trop profondes de l'humour politisé - engagé - leur préférant celles, plus calmes et transparentes, de l'absurde ou de l'autofiction. Ce n'est pas un mal, c'est une autre école avec d'autres élèves. Sans doute lassés par un quotidien trop lourd, ils s'en vont rire d'autre chose que de leurs propres vies, aussi habilement distordues soient-elles par la malice d'un chansonnier. Qu'aurait à dire Coluche de cette France qui se lève tôt... On se le demande, lui dont la devise (parmi un million d'autres !) était : « Soit fainéant, tu vivras ! » Mais épargnons-nous le très faisandé « c'était mieux avant ! », ce n'est ni la vérité ni le propos ! L'époque a simplement muté.
Coluche, l'insolent qui ne donnait qu'un ordre - le bordel - savait la regarder, la malmener et finalement la sublimer. Souvent en allant trop loin, souvent par pure provocation, parfois gratuitement mais jamais sans saveur et avec beaucoup d'équité... puisque tout le monde prenait ! Un sale gosse pour qui « faire chier » était un sacerdoce. Un anarchiste qui transcendait toute idéologie « soixante-huitarde » puisqu'il fallait faire chier le bourgeois autant que le prolo, le flic autant que le voyou, le Blanc autant que le Noir. Tous égaux face au Coluche, un virus incurable. Tous ceux que nous avons croisés en gardent des séquelles bien visibles.