La survenance et l'esprit (t.1)
La philosophie de l'esprit a connu différentes formes de réductionnisme. Plusieurs d'entre nous ont désormais le sentiment que les stratégies réductionnistes ont quelque chose de rigide et de borné et qu'elles tentent de nous imposer une vision monolithique et étriquée des sujets qu'elles abordent, le genre de figure tiré à quatre épingles qui séduit les obsédés de l'ordre et de la discipline. Certains ont vu dans l'idée de «survenance» la formulation possible d'un physicalisme libre de tout engagement réductionniste. Les espoirs placés dans la survenance en ce domaine semblent avoir reposé, au moins en partie, sur les tentatives passées de certains théoriciens de l'éthique éminents, tels que G. E. Moore et R. M. Hare, qui ont construit des arguments classiques contre le réductionnisme naturaliste en éthique, et ont en même temps soutenu que les propriétés morales sont «survenantes» sur les propriétés naturelles ou descriptives. Pourquoi ne pas envisager alors une relation analogue entre les propriétés psychologiques et les propriétés physiques à celle qui existe entre les propriétés morales et descriptives, telle que la concevaient ces théoriciens de l'éthique ? Dans chaque cas, les propriétés survenantes sont clairement dépendantes de leurs propriétés de base ; elles sont déterminées par celles-ci, et cependant ne leur sont pas, espère-t-on, réductibles. Mais un physicaliste robuste et conséquent peut-il désavouer le réductionnisme ? Autrement dit, une doctrine matérialiste est-elle compatible avec le rejet de la réduction psychophysique ?