L'affaire Verlaine
Maurice Dullaert est né en 1865 à Bruges. Après une carrière d'avocat dans sa ville natale, il entra au ministère de la Justice où il occupa des postes importants, au point d'accompagner le gouvernement belge, replié au Havre en 1914. Il mourut en septembre 1940. Maurice Dullaert mena, parallèlement, une activité de poète et, surtout, de critique littéraire mais se contenta, par modestie, de ne publier ses essais que dans la presse. On lui doit d'avoir, notamment, fait connaître en Belgique, Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam, Heredia, Mallarmé (« le Prince de l'abscons » !) et, bien sûr, Verlaine. Si, en général, il proposait de longues études inspirées sur ses auteurs de prédilection, il se dévoua particulièrement à Verlaine dont la personnalité complexe et l'oeuvre, qui ne l'est pas moins, l'intriguaient et le touchaient. Tout autant que sa conversion en prison. Au point de lui consacrer, après un petit livre - Verlaine, Gand, 1896 -, cette étonnante Affaire Verlaine où l'écrivain, le lecture admiratif et le juriste précis conjuguent leurs perspicacités ! Ce volume parut en 1930, chez Albert Messein (2), à Paris. S'appuyant sur de récents travaux de Marcel Coulon, dont Au coeur de Verlaine et de Rimbaud avait paru en 1925, Maurice Dullaert poursuit l'enquête avec la minutie d'un juge d'instruction ; mais il a l'intelligence d'examiner le contexte du petit drame qui éclatera le 10 juillet 1873, à Bruxelles, - les fameux coups de revolver (un Lefaucheux 7mm) dont l'une des balles atteint Rimbaud au poignet. Maurice Dullaert trace ainsi au long de son essai, l'étayant par la correspondance, un portrait psychologique de Verlaine (et de son entourage) d'une belle lucidité. Et il ne masque pas, au contraire, l'homosexualité des deux protagonistes, n'hésitant pas à donner les éléments qui confirment « les habitudes pédérastiques » - éléments cliniques contestables en réalité. Cette « Affaire » devient soudain un cas juridique bien particulier puisqu'il met sur la place publique « une liaison d'une étrange nature » entre deux hommes - pour reprendre la formule extraite d'un rapport de police parisien. En effet, avant que Maurice Dullaert ne sonde l'intimité des poètes, la Préfecture de police de Paris s'intéressa de près (dès avril 1873) aux deux hommes, alors à Londres et suspectés d'être Communards (3). Elle dépêche un enquêteur en Angleterre puis à Bruxelles dès l'annonce du coup de feu ! De la capitale belge, le policier envoie un rapport précisant que « L'enquête vient de faire connaître que la cause doit en être attribuée à des relations immorales, existant entre ces deux individus ». Verlaine condamné puis devenu peu à peu célèbre, Rimbaud évanoui, la Préfecture de Police clôt l'enquête en 1882.