Le Voyage
Dans le présent ouvrage, l'auteur nous confie des passages de son journal de voyage. Un voyage qui, concrètement, va de Prague au Caucase, à Tiflis, ancien nom de Tbilissi, capitale de la Géorgie, en passant par Moscou et la ville qui s'appelait alors Leningrad, au moment où le printemps semblait se réveiller. II apparaît que l'intention de l'auteur est de décrire dans une langue précise, d'un atticisme classique, ses péripéties de voyageur, jusqu'à ce que soudain s'introduise dans cette prose glacée, par des fissures invisibles, comme par pur hasard, une note excentrique, légère au début mais qui se renforce rapidement, transformant tout en une galopade délirante, ivre, folle de scènes grotesques, de calamités joyeuses.
Les cahiers de ce journal sont baignés d'une substance que sécrète l'écriture même. Là se révèle, de tous côtés, la forêt sacrée de la littérature russe. Les classiques, les romantiques, les symbolistes et les avant-gardistes se présentent dans un immense défilé dépourvu de chronologie, et encore plus, la mémoire de ses songes déments, de sa passion pour ses amis, de ses perplexités devant le labyrinthe de l'âme russe (cette matriouchka sans fond où tout apparaît et disparaît à la fois), de ses obsessions scatologiques. Le voyage constitue l'un des exemples les plus radicaux de la disparition d'une réalité dans la littérature et aussi le modèle parfait, le plus élégant et le plus divertissant, d'une construction narrative magistrale.