Mauvais coeur, cantate sur un texte de Léon-Paul Fargue, pour baryton et piano
Que dire, sur Mauvais coeur - j'entends le texte -, qui ne soit une paraphrase ? Il faut en parler de biais, à la façon dont il est écrit. Le mystère en demeure entier, comme au premier jour. Mais d'où vient que tant de lecteurs, d'horizons divers, de passés différents se sentent pareillement impliqués dans ses détours, concernés par cette scène primitive, ce fragment d'existence, et que, tout en protestant n'avoir rien vécu de semblable, ils avouent, parmi les arbres du même jardin d'automne, avoir partagé le même inexplicable désarroi ? Le Fargue de Mauvais coeur n'est ni l'acrobate des Ludions, si cher à Satie, ni l'infatigable piéton de Paris. Il est celui, moins connu sans doute, qui à trente ans, dans un recueil de proses assez ensorcelées pour justifier le titre de Poëmes qu'il leur donne, arrête sa vie à une poignée de phrases, la borne d'emblée à quelques images endolories. Trente ans, c'est jeune, c'est tôt, pour s'être aussi farouchement - et irréparablement - enfermé dans jadis et naguère, en ne laissant presque aucune chance à l'heure présente, encore moins future, et ne lui accordant que le loisir du regret, la consolation du souvenir. À trente ans, moi aussi, je m'étais déjà barricadé contre l'avenir. Mauvais coeur rejoint mes Chansons enfantines et mes premières Poésies de Georges Schehadé dans cet effort de garder à ma voix (à ma voie) une illusoire durée au sein du seul temps que je sache vraiment vivre. Plus je m'en éloigne, plus je sens sa force. Ce n'est pas un paradoxe : l'enfant est fragile, mais l'enfance est dure et durable comme le diamant.