Carnaval, pour piano
L'essentiel de ce cahier date de 1994, mais quelques pièces remontent à 1983, un ancien projet d'Hommage à Watteau, l'idée d'un carnaval à la française, redevable autant à ce peintre qu'à la poésie de Verlaine, sans oublier le Couperin du 13e Ordre. Je ne sais si je me souciais réellement de « l éternel Clitandre » ; ces colloques amoureux dans ces décors de fêtes galantes, s'ils me sont toujours chers, l'ont d'abord été en tant qu'objets de discours, - allumeurs de querelles et beaux paradoxes, sujets à débats ou récitations. Je n'y songeais pas à l'époque, mais aujourd'hui j'imagine que c'est à Schumann, qui dans son Carnaval invite Chopin et Paganini, que j'ai repris l'idée d'hommages à divers compositeurs, en filigrane de quelques pièces. On verra qu'il ne s'agit pas de pastiches, à peine de clins d'oeil, et je ne dérobe à leur habit qu'un noeud de cravate, ou une boucle de ceinture. Mais c'est assez pour les joindre à cette troupe qui bringuebale entre l'humour et le sérieux. Le sérieux, oui. Nul ne prétendra qu'un carnaval ne soit que burlesque, et celui de Couperin finit dans le désespoir. Certains morceaux, et certains titres, auront l'air ici de donner dans la satire. Satire de quoi, d'ailleurs, comme écrit Gide au début de Paludes (Gide à qui j'emprunte la délectable orthographe du mot « miglionnaire »). Mais dans un carnaval on se déguise ; sous des dehors cocasses, l'être le plus impropre à la vie de société se fortifie et entre dans la danse. Il y a dans toute scène carnavalesque un grain d'ironie qui m'a permis cet air d'apparent détachement : l'ironie, c'est la distance, autant que l'interrogation. J'ai çà et là joué son jeu ; mais, si ce n est qu'elle est forcément plus impudique, la mélancolie m'aurait suffi : celle des Dormeurs, des Promeneurs sentimentaux ; et, avec Gilles et L'Indifférent, l'éternelle image du double, que dans l'ombre de ma musique et moins exposés, mes vers et mes proses n'ont jamais cessé d'approfondir.