L'homme sans monde : Ecrits sur l'art et la littérature
Toutes les religions, conceptions du monde, styles artistiques, «valeurs» et objets culturels ont le même droit à être tolérés parce qu'ils ont le même droit de se présenter comme des marchandises. Ceci est le droit fondamental à l'égalité de notre époque. S'il écrit sur les oeuvres littéraires ou artistiques de son temps, Günther Anders ne les soumet pas seulement à l'acuité de sa sensibilité aux formes et aux gestes, à la langue et au trait. Il cherche en elles la vista qui les anime plus ou moins secrètement, la façon dont elles disent, dont elles révèlent l'époque : elles en sont à la fois le creuset et le fruit. Les décennies traversées, à Berlin ou dans les exils parisiens et américains, depuis la fin de la guerre de 14-18 jusqu'à l'ère de nucléarisation du monde, sont, par sa lecture ou ses analyses, en quelque sorte mises à nu. Derrière l'abondance de la production de biens tant matériels que symboliques, apparaît la condition misérable des hommes de ce temps : privés de ce qui avait donné, depuis des siècles, à ce qui ne s'appelait pas encore la «culture», une indiscutable légitimité, une inébranlable assise : un monde, un monde à eux.