Le mythe bédouin chez les voyageurs aux XVIIIe et XIXe siècles
Perçus depuis les pèlerins médiévaux comme de dangereux pillards, les Arabes nomades font peu à peu l'objet, au cours du XVIIIe siècle, d'un regard idéalisant qui, à la suite des écrits de Rousseau, va se transformer en mythe primitiviste. Un voyageur comme Volney, peu avant la Révolution française, peint les Bédouins de Syrie comme un peuple hospitalier, qui vivrait en conformité avec les moeurs des anciens patriarches, librement et simplement, tout en pratiquant naturellement la justice. Les voyageurs du XIXe siècle jouent un rôle central dans la construction et la diffusion de ce mythe bédouin, dont on peut suivre les variations, aussi bien chez des écrivains reconnus comme Lamartine, qui se projette dans la figure du poète arabe, que chez des auteurs méconnus comme l'historien Joseph Poujoulat, qui met en scène un couple mixte au désert. Ce livre retrace aussi les critiques (Voltaire, Chateaubriand) que suscita l'idéalisation des Bédouins. Il n'empêche qu'un discours "bédouinophile" s'affirme, au début du XIXe siècle. Le Voyage en Orient de Flaubert en constitue le point d'aboutissement. L'imaginaire du Bédouin idéal comporte une dimension politique, religieuse et culturelle qui prend le contre-pied du mythe dépréciatif du "despotisme oriental". Du même coup, il permet de revenir sur la question du "discours orientaliste" (Edward Said). Le mythe bédouin ne repose pas sur l'idée d'une domination de l'"autre", tout au contraire : il montre la tentation, pour nombre de voyageurs, d'une sorte de dépossession de soi et permet de faire retour, de manière critique, sur l'Europe elle-même, à l'époque des Lumières et du Romantisme.